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this post was submitted on 04 Jul 2023
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France
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La mise en place chaotique du pacte enseignant dans les établissements : « Ça arrive comme une bombe dans les salles des profs »**
Qui signera, qui ne signera pas ? Le déploiement du nouvel outil proposant des missions supplémentaires aux enseignants en échange d’une rémunération forfaitaire se fait dans la confusion. A la veille des vacances, et alors qu’il doit être lancé à la rentrée, aucun texte officiel n’a encore été publié.
Passé le temps des annonces politiques, la question s’est installée dans les salles des professeurs : qui signera le pacte enseignant ? « Selon un sondage que nous avons réalisé, nous espérons être au-dessus de notre objectif cible de 30 % d’adhésion », déclarait récemment le ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye. Mais aucun chiffre n’est encore remonté du terrain, où le déploiement de ce nouvel outil permettant de proposer des missions supplémentaires aux enseignants en échange d’une rémunération forfaitaire se fait dans la confusion.
Dans les établissements scolaires, on parle du « grand flou » qui règne encore à quatre jours de la fermeture des écoles, collèges et lycées. Alors que le pacte doit se mettre en place pour la rentrée, professeurs, directeurs d’école et chefs d’établissement attendaient toujours, mardi 4 juillet, la parution des textes officiels.
« Nous avons vu passer des ordres et des contre-ordres tout le mois de juin à coups de diaporamas et de foires aux questions, mais toujours aucune base légale pour dire exactement aux collègues à quoi ils s’engagent », s’exaspère Faustine Ottin, directrice à Bruay-sur-l’Escaut, dans le Nord, où deux enseignants sur douze « envisagent » d’adhérer au pacte.
Le principe est connu depuis que le ministère de l’éducation nationale a détaillé le fonctionnement du dispositif au mois d’avril. Les enseignants volontaires peuvent choisir entre une et trois « briques » de missions définies par la rue de Grenelle, chacune rémunérée à hauteur de 1 250 euros annuels pour un volume horaire compris entre dix-huit et vingt-quatre heures. En lycée professionnel, le pacte peut contenir jusqu’à six briques. Dans les écoles, collèges et lycées généraux, certaines d’entre elles, indispensables à l’application de politiques gouvernementales, sont étiquetées comme prioritaires : l’intervention en 6e pour une heure de soutien pour les professeurs de primaire ; le remplacement de courte durée pour ceux du second degré.
Des consignes qui diffèrent
Sur le terrain, toutefois, ces grandes lignes ont laissé en suspens une avalanche de questions aussi techniques que cruciales pour l’application du pacte et qui, en l’absence de décret d’application, donnent lieu à « une cacophonie d’interprétations locales », déplore Audrey Chanonat, secrétaire nationale du SNPDEN-UNSA, majoritaire chez les chefs d’établissement.
Selon les endroits, des informations différentes ont été données sur la participation des enseignants de maternelle au soutien en 6e, sur le périmètre des projets ouvrant droit à une rémunération au nom de la brique « projets pédagogiques innovants », ou encore sur l’éventualité de rémunérer via le pacte les heures « d’autoremplacement » durant lesquelles les professeurs du second degré rattrapent leurs propres absences.
Plus problématique, les enseignants et les directions ne savent toujours pas précisément s’il sera indispensable d’accepter une mission définie comme prioritaire par le ministère pour pouvoir prendre d’autres briques de pacte, comme les stages de réussite pour faire de la remise à niveau pendant les vacances, la participation au dispositif « Devoirs faits au collège » ou la coordination de projets.
« A priori, il n’est écrit nulle part que ces missions sont obligatoires,* souligne Audrey Chanonat, principale de collège à Cognac (Charente)*. Par contre, on nous demande bien de distribuer d’abord les missions prioritaires, surtout le remplacement, et cela nous met dans des positions très inconfortables. »
Un dispositif largement décrié
Cette absence de cadre clair enraye un peu plus le déploiement serein d’un dispositif déjà rejeté par tous les syndicats et par une majorité d’enseignants. Dans les établissements, les oppositions restent fortes contre une mesure décriée pour être la déclinaison du « travailler plus pour gagner plus » appliqué à une profession qui alerte sur un important alourdissement de sa charge de travail.
« Nous sommes des fonctionnaires de l’éducation nationale, nous avons passé un concours qui nous donne droit à un statut et cette forme de contractualisation y porte atteinte », dénonce aussi Sylvie (les personnes citées par leur prénom n’ont pas souhaité donner leur nom), professeure d’anglais en Bretagne. Dans son lycée, elle a signé, comme une quinzaine d’autres enseignants, une pétition du SNES-FSU appelant à ne pas adhérer au pacte. Comme beaucoup d’autres, elle s’alarme des « pressions » de la part de certaines directions racontées par des collègues, et redoute que des tensions apparaissent dans les équipes.
« Le pacte arrive comme une bombe dans les salles des profs où la colère des enseignants est grande », observe Lydia Advenier, proviseure d’un lycée à Lyon et membre du bureau exécutif du SNPDEN, qui déplore un dispositif trop rigide et une mise en œuvre trop précipitée. Aucun des soixante enseignants de son établissement ne s’est positionné en cette fin d’année pour la moindre mission.
« Ils ont opposé un refus collectif à un dispositif encore trop flou et qui ne correspond pas à la revalorisation qu’on leur avait promise, rapporte-t-elle. L’exaspération est d’autant plus vive qu’ils voient arriver tous ces moyens alors qu’ils réclament depuis longtemps des heures pour faire du soutien, des petits groupes, et qu’on ne nous les donne pas. »
Les remplacements au cœur des tensions
Ailleurs, des enseignants ont accepté le principe, mais pas nécessairement pour se lancer sur les missions prioritaires pour le ministère. Dans le second degré, l’idée de s’engager pour au moins dix-huit heures annuelles de remplacement de courte durée cristallise les tensions.
« J’ai deux volontaires pour “devoirs faits” mais aucun pour la brique “remplacement”, qui crée vraiment un blocage », constate par exemple Nicolas Bonnet, principal d’un collège à Blanquefort (Gironde), secrétaire départemental du SNPDEN, qui doit répartir soixante-quatre briques pour cinquante-trois enseignants. « Quelle est la plus-value pédagogique de s’engager à remplacer au pied levé un collègue d’une matière différente, devant des classes que nous ne connaissons pas ? », s’agace Thibault, professeur d’histoire-géographie dans l’académie de Créteil.
Le dispositif s’avère particulièrement périlleux à mettre en œuvre au lycée, où tous les élèves ne font pas les mêmes spécialités et viennent de plusieurs classes différentes. « Ça n’a aucun sens de faire remplacer une heure de tronc commun [comme le français, la philosophie ou l’histoire géographie] par un prof de spécialité alors que tous les élèves de la classe n’ont pas choisi celle qu’il enseigne », détaille l’enseignant.
Philippe, enseignant de 61 ans dans un collège de la Manche, a hésité. Comme beaucoup, il fait déjà des remplacements, mais pas à hauteur de dix-huit heures annuelles. Il pourra continuer en dehors du pacte, mais sera payé, comme aujourd’hui, environ 45 euros de l’heure, contre 69 euros avec le nouveau contrat. « C’est fou d’être payé moins pour faire strictement la même chose, mais on ne sait pas à quel point on sera contraint si on signe, explique-t-il. Si je mets un doigt dans l’engrenage, j’ai peur que le bras parte avec. »
Un dispositif largement décrié
Cette absence de cadre clair enraye un peu plus le déploiement serein d’un dispositif déjà rejeté par tous les syndicats et par une majorité d’enseignants. Dans les établissements, les oppositions restent fortes contre une mesure décriée pour être la déclinaison du « travailler plus pour gagner plus » appliqué à une profession qui alerte sur un important alourdissement de sa charge de travail.
« Nous sommes des fonctionnaires de l’éducation nationale, nous avons passé un concours qui nous donne droit à un statut et cette forme de contractualisation y porte atteinte », dénonce aussi Sylvie (les personnes citées par leur prénom n’ont pas souhaité donner leur nom), professeure d’anglais en Bretagne. Dans son lycée, elle a signé, comme une quinzaine d’autres enseignants, une pétition du SNES-FSU appelant à ne pas adhérer au pacte. Comme beaucoup d’autres, elle s’alarme des « pressions » de la part de certaines directions racontées par des collègues, et redoute que des tensions apparaissent dans les équipes.
« Le pacte arrive comme une bombe dans les salles des profs où la colère des enseignants est grande », observe Lydia Advenier, proviseure d’un lycée à Lyon et membre du bureau exécutif du SNPDEN, qui déplore un dispositif trop rigide et une mise en œuvre trop précipitée. Aucun des soixante enseignants de son établissement ne s’est positionné en cette fin d’année pour la moindre mission.
« Ils ont opposé un refus collectif à un dispositif encore trop flou et qui ne correspond pas à la revalorisation qu’on leur avait promise, rapporte-t-elle. L’exaspération est d’autant plus vive qu’ils voient arriver tous ces moyens alors qu’ils réclament depuis longtemps des heures pour faire du soutien, des petits groupes, et qu’on ne nous les donne pas. »
Les remplacements au cœur des tensions
Ailleurs, des enseignants ont accepté le principe, mais pas nécessairement pour se lancer sur les missions prioritaires pour le ministère. Dans le second degré, l’idée de s’engager pour au moins dix-huit heures annuelles de remplacement de courte durée cristallise les tensions.
« J’ai deux volontaires pour “devoirs faits” mais aucun pour la brique “remplacement”, qui crée vraiment un blocage », constate par exemple Nicolas Bonnet, principal d’un collège à Blanquefort (Gironde), secrétaire départemental du SNPDEN, qui doit répartir soixante-quatre briques pour cinquante-trois enseignants. « Quelle est la plus-value pédagogique de s’engager à remplacer au pied levé un collègue d’une matière différente, devant des classes que nous ne connaissons pas ? », s’agace Thibault, professeur d’histoire-géographie dans l’académie de Créteil.
Le dispositif s’avère particulièrement périlleux à mettre en œuvre au lycée, où tous les élèves ne font pas les mêmes spécialités et viennent de plusieurs classes différentes. « Ça n’a aucun sens de faire remplacer une heure de tronc commun [comme le français, la philosophie ou l’histoire géographie] par un prof de spécialité alors que tous les élèves de la classe n’ont pas choisi celle qu’il enseigne », détaille l’enseignant.
Philippe, enseignant de 61 ans dans un collège de la Manche, a hésité. Comme beaucoup, il fait déjà des remplacements, mais pas à hauteur de dix-huit heures annuelles. Il pourra continuer en dehors du pacte, mais sera payé, comme aujourd’hui, environ 45 euros de l’heure, contre 69 euros avec le nouveau contrat. « C’est fou d’être payé moins pour faire strictement la même chose, mais on ne sait pas à quel point on sera contraint si on signe, explique-t-il. Si je mets un doigt dans l’engrenage, j’ai peur que le bras parte avec. »
Des stages mieux payés mais moins nombreux
Des obstacles similaires existent en primaire pour l’intervention en 6e. « Je suis en classe quatre jours et demi par semaine, j’ai deux enfants et je travaille déjà plus de quarante heures par semaine, c’est impossible d’aller en plus au collège le soir, si tant est qu’ils mettent ces heures sur un moment où je suis théoriquement disponible », résume Julia, enseignante en maternelle à Toulouse.
« Le collège est à vingt mètres mais personne ne veut signer pour cette mission », rapporte aussi Thierry Pajot, directeur d’une école de treize enseignants à Nice. « Les enseignants volontaires dans mon école sont ceux qui faisaient déjà des stages de réussite et qui veulent être payés mieux pour ce qu’ils font, pas travailler davantage », développe celui qui est aussi secrétaire général du Syndicat des directrices et directeurs d’école.
Jean, professeur des écoles de 40 ans en réseau d’éducation prioritaire renforcé dans le Rhône, n’accepte ainsi le pacte que pour les stages de réussite. « J’aimerais refuser parce que, sur le principe, je suis contre, admet-il. Mais nous sommes un couple de fonctionnaires avec trois enfants et on a trop sapé notre pouvoir d’achat, je n’ai pas d’autre moyen d’augmenter ma rémunération [2 400 euros nets]. » Le pacte lui rapportera 1 130 euros pour deux stages de douze heures, contre 360 euros le stage de quinze heures aujourd’hui. Lui qui a l’habitude de faire cinq stages de réussite par an n’est toutefois plus sûr de pouvoir en faire autant : il lui faudrait signer plus de deux briques, là où son école en a reçu seize pour treize enseignants (sur dix-neuf) volontaires pour ces stages.
« Le temps politique n’est définitivement pas celui de l’école, il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour que ça marche », pointe Nicolas Bonnet qui compte, lui, six professeurs des écoles volontaires pour intervenir en 6e, mais ne sait pas encore s’il pourra faire correspondre les emplois du temps.
A la veille des vacances, la même certitude est partagée par tous : le pacte – et les mesures qui en dépendent – s’appliquera de façon très disparate selon les établissements, et rien ne sera en place avant la rentrée, voire le mois d’octobre.
Eléa Pommiers